Monthly Macro Insights | Octobre 2022
"L’économie mondiale a fortement ralenti et les indicateurs laissent entrevoir une période prolongée de croissance très fragile, notamment en Europe. Les politiques monétaires du monde entier ont été resserrées avec vigueur, en réponse aux déséquilibres entre offre et demande qui ont entraîné des hausses de prix à un rythme inédit depuis plusieurs décennies. Bien que la baisse des prix de l’énergie et l’allègement des tensions sur les chaînes d’approvisionnement présagent le déclin de l’inflation au second semestre 2022, cela suffira-t-il à apaiser les banques centrales ?"
Une perte de dynamique économique de plus en plus visible
Le repli des marchés boursiers cette année, couplé à la hausse des taux obligataires, à l’appréciation du dollar américain et au recul de l’appétence pour le risque ont contribué au durcissement des conditions financières. Si la croissance du PIB mondial est probablement restée positive au troisième trimestre, aidée par le rebond post-confinement de la Chine, les perspectives se sont nettement assombries.
En effet, la chute de la confiance des consommateurs, tombée à des niveaux historiquement bas dans la plupart des économies avancées, et de celle des entreprises signalent une détérioration notable de l’activité dans de nombreuses économies. L’indice S&P Global de confiance des entreprises manufacturières a glissé à 49,8 en septembre(1) et les sous-composantes de la production et des nouvelles commandes ont encore perdu du terrain, ce qui suggère que la production industrielle mondiale s’approche de la récession. En fait, en excluant les mois de confinement du premier semestre 2020, la récente baisse a été la plus marquée depuis 2012, et le tarissement des flux de nouvelles commandes et de stocks a conduit à une dégradation des perspectives de production. En outre, l’indicateur avancé composite des économies de l’OCDE est revenu à son plus bas niveau depuis la crise financière mondiale de 2008, en faisant abstraction de la baisse éphémère du début de la pandémie au printemps 2020.
Par ailleurs, la remontée des taux d’intérêt dans les économies avancées, le renforcement du dollar et l’affaiblissement du commerce international sont autant de vents contraires pour les économies émergentes. Les enquêtes sur la confiance des entreprises chinoises montrent que la situation pandémique reste préoccupante, et que l’impact négatif de la politique Zéro-Covid sur l’économie est toujours prononcé, tandis que l’activité est également freinée par la déroute du secteur immobilier.
L’inflation devrait diminuer progressivement...
La guerre en Ukraine ainsi que l’impact prolongé de la pandémie dans certaines régions du monde ont fait grimper les cours de plusieurs matières premières et causé d’importantes perturbations sur les marchés de l’énergie en Europe, faisant bondir les prix de l’électricité. Cette pression continue de s’accentuer, comme le montre le nouveau bond de l’inflation en septembre dans la Zone euro, qui a atteint un niveau record de 10 %.(2)
Toutefois, l’inflation devrait s’atténuer grâce à une accalmie sur les frais de transport et les prix de la plupart des produits de base, du fait d’une demande inférieure en Chine, alors même que les enquêtes indiquent que les perturbations sur les chaînes d’approvisionnement se résorbent progressivement.
... mais la détente des marchés du travail demeure essentielle
Néanmoins, les pressions inflationnistes sont de plus en plus généralisées et la flambée des coûts, en particulier ceux de l’énergie, se répercute de plus en plus largement dans l’économie. En outre, la croissance des salaires a accéléré dans de nombreux pays, notamment aux États-Unis, au Canada et au Royaume-Uni, risquant ainsi de retarder la baisse de l’inflation. En conséquence, les taux directeurs ont été relevés plus rapidement que prévu par les investisseurs, face au risque que l’inflation élevée n’aboutisse à un désencrage des anticipations d’inflation et à une renégociation à la hausse des salaires sur des marchés du travail déjà tendus.
À titre d’exemple, la grève des cheminots américains n’a été évitée à la mi-septembre qu’après des augmentations salariales allant jusqu’à 24%(3) sur cinq ans et le versement de primes exceptionnelles. Les récentes grèves dans le ferroviaire au Royaume-Uni ou l’aérien en France témoignent également de la détermination des travailleurs à défendre leur pouvoir d’achat rongé par la hausse du coût de la vie.
En réalité, la Fed a elle-même reconnu la nécessité d’affaiblir le marché du travail américain afin de limiter les effets de second tour, ce qui a incité les responsables à relever leurs prévisions du taux directeur à 4,5% pour la fin de l’année et 4,75%(4) pour 2023. Les banques centrales des autres économies avancées, à l’exception notable de celle du Japon, abondent dans le même sens, estimant qu’un chômage plus élevé l’an prochain est préférable à une inflation persistante. Les prochains mois nous diront si elles seront capables de maintenir ce cap une fois que le PIB aura stagné, voire baissé. Pour leur part, les investisseurs sont de plus en plus nombreux à penser que le resserrement monétaire mondial touche à sa fin, surtout depuis que la Banque d’Australie a surpris en relevant ses taux de 25 points de base contre 50 attendus(5). Or, comme le président de la Fed M. Powell l’a fait remarquer à Jackson Hole, l’Histoire met en garde contre un assouplissement prématuré de la politique monétaire, d’autant plus lorsque les banques centrales sont encore loin d’une situation où l’inflation est maîtrisée. À ce titre, les données du mois d’août ont montré que les progrès concernant la convergence vers les cibles d’inflation sont modestes, en particulier lorsque l’on exclut les prix alimentaires et de l’énergie.
Un policy-mix hétérogène est-il possible ?
En dépit de la dette record accumulée durant la pandémie et de la hausse des taux d’intérêts, la flambée de l’inflation a incité les gouvernements à amortir l’impact pour les ménages et les entreprises. Toutefois, les mesures de relance devront être ciblées et temporaires afin de ne pas aggraver le fort déséquilibre entre l’offre et la demande, moteur de la hausse actuelle des prix d’une ampleur inégalée depuis plusieurs décennies. Autrement, la politique monétaire serait contrainte de rester restrictive plus longtemps afin d’annuler l’effet stimulant de la politique budgétaire, ayant pour conséquence collatérale d’alourdir d’autant le service de la dette.
À cet égard, le gouvernement britannique a dévoilé un budget contenant des réductions d’impôts non financées à la mesure de celles décidées pendant la pandémie, favorisant une relance considérable de la demande malgré une offre restreinte. En réponse, la livre a fléchi, les rendements obligataires ont bondi, et la Banque d’Angleterre (BoE) a été contrainte de suspendre son programme de Quantitative Tightening(6) et de s’engager dans des achats illimités d’obligations d’État afin de préserver la stabilité financière. En effet, l’annonce inattendue de la BoE a principalement été motivée par la panique de fonds de pension dont une partie des portefeuilles obligataires ont perdu près de la moitié de leur valeur en quelques jours. Bien que justifiée, la forme de son intervention soulève toutefois des questions et pourrait renforcer le soupçon selon lequel le primat budgétaire mettra en péril l’indépendance et la crédibilité des banques centrales. Cela dit, Huw Pill, économiste en chef de la BoE, a souligné que l’engagement de la banque à ramener l’inflation à son objectif de 2% était inébranlable et a ainsi laissé entrevoir une réponse significative pour la prochaine réunion de novembre.
Achevé de rédiger le 6 octobre 2022
(1) Indice des directeurs d’achat, indicateur reflétant la confiance des directeurs d’achat dans un secteur d’activité. Supérieur à 50 il exprime une expansion de l’activité, inférieur à 50, une contraction – S&P Global, Rothschild & Co Asset Management Europe, octobre 2022.
(2) FOMC, Rothschild & Co Asset Management Europe, octobre 2022.
(3) Eurostat, Rothschild & Co Asset Management Europe, octobre 2022.
(4) Bloomberg, Rothschild & Co Asset Management Europe, octobre 2022.
(5) Bloomberg, Rothschild & Co Asset Management Europe, octobre 2022.
(6) Resseremment quantitatif : politique monétaire plus restrictive.